Seuls les chanceux mènent leur vie d’un bout à l’autre sans aucun souci de santé et sans connaître les maux de la vieillesse. Peu d’entre nous échappent à des affections aussi douloureuses et invalidantes que l’arthrose, qui nécessite en dernier ressort la pose de prothèses, et nous devons pratiquement tous, un jour ou l’autre, faire appel à des professionnels de santé et au secteur de la santé pour nous faire soigner.
Il nous semble normal de compter sur ces soins et traitements médicaux pour nous remettre sur pieds et nous aider à reprendre, en meilleure forme, le cours de notre vie quotidienne. Quand nous n’avons plus d’autre recours, nous nous en remettons aux professionnels de la santé, qui, pour leur part, s’efforcent de veiller à ce que la sécurité des patients passe avant tout et espèrent disposer des meilleures pratiques pour réduire les erreurs médicales.
Le coût des soins de santé
Le secteur de la santé, qui est l’une des industries les plus dynamiques au monde, comprend la médecine, la biotechnologie, les dispositifs médicaux, les services et les produits pharmaceutiques. Les recherches de l’Economist Intelligence Unit relayées par Deloitte indiquent que les dépenses annuelles de santé au niveau mondial, qui se montaient à USD 7 077 milliards en 2015, atteindront USD 8 734 milliards en 2020. Ces données montrent qu’en raison de l’augmentation de la population des personnes âgées aux États-Unis et à l’étranger, et du fait du coût moyen élevé qu’implique la prestation de soins de qualité aux membres de ces groupes, les dépenses dans ce domaine vont progresser.
Selon le magazine Forbes, entre 2015 et 2030, le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus devrait augmenter de 56 % dans le monde, passant d’un peu plus de 900 millions à près de 1,5 milliard. Et d’ici 2050, la population mondiale dans cette tranche d’âge devrait atteindre les deux milliards. Aux États-Unis, le nombre de citoyens de plus de 65 ans devrait s’approcher des 100 millions d’ici 2060.
Face à une telle proportion de personnes du troisième âge, avec les pathologies liées au vieillissement, le secteur de la santé va se trouver confronté à d’énormes défis. Les populations du monde entier vieillissent – mais toutes ne vieillissent pas de la même façon. L’alimentation reposant sur des aliments très transformés a entraîné, en occident, une augmentation des cas d’obésité, de maladies cardiaques et de diabète, et l’industrie de la santé devra trouver des solutions créatives à cette question des maladies chroniques.
Lorsque les systèmes de santé sont par trop sollicités, il faut veiller à toujours maintenir le même niveau de sécurité des patients. Des erreurs et des événements indésirables sont toujours possibles dans les procédures médicales. Les données et statistiques de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour l’Union européenne, par exemple, indiquent que « 8 % à 12 % des patients admis dans un établissement hospitalier ont été victimes d’erreurs médicales et ont subi des effets indésirables suite à leur hospitalisation ». Selon l’OMS, les infections associées aux soins sont également élevées avec, en moyenne par an, selon les estimations, 5 % des patients hospitalisés (soit 4,1 millions de patients). Au Royaume-Uni, le National Audit Office chiffre le coût de ces infections à un milliard de livres par an.
Pas de place aux erreurs
Un tableau sombre a également été dressé aux États-Unis. Une étude menée par les docteurs Makary et Daniel a suscité une controverse en révélant que l’erreur médicale était la troisième cause principale de décès dans le pays. L’un des résultats positifs de cette controverse, cependant, est qu’elle a jeté un nouvel éclairage sur un sujet sérieux, faisant de la sécurité des patients une préoccupation publique. Cette question a de nouveau été mise en lumière récemment avec la publication du dossier The Implant Files, une enquête mondiale menée par l’ICIJ, un collectif international de journalistes d’investigation, sur les implants médicaux – tels que les prothèses métalliques de hanches, les implants vaginaux et les stimulateurs cardiaques – et leurs effets sur les patients.
L’enquête a été entreprise du fait de préoccupations concernant l’adéquation des règlements applicables aux implants médicaux, dont certains, d’aucuns l’affirment, n’avaient pas fait l’objet d’essais avant leur commercialisation. Ces dispositifs médicaux prennent cependant de plus en plus d’importance dans le domaine des soins de santé et peuvent améliorer considérablement la vie des gens, en particulier des personnes âgées. À l’ère de la Quatrième révolution industrielle, les nouvelles technologies permettent certes d’innover dans le domaine des implants et des dispositifs médicaux, mais elles soulèvent également des inquiétudes concernant la cybersécurité et la confidentialité des données et rendent la gestion des risques sanitaires encore plus complexe.
Tout cela souligne la nécessité de systèmes efficaces de management des risques. Quels sont les outils à disposition pour réduire les risques associés aux dispositifs médicaux, y compris les risques d’erreur humaine ? De nombreuses normes ISO traitent de la gestion des risques dans l’industrie des soins de santé et trois d’entre elles sont mises en avant dans cet article. La première, ISO 14971, est une norme qui traite de l’application de la gestion des risques à la conception et à la fabrication de dispositifs médicaux. Selon Jos van Vroonhoven, Directeur Normalisation auprès de la multinationale de l’électronique Philips, la norme est mondialement reconnue par les autorités de réglementation comme la meilleure norme pour la gestion des risques des dispositifs médicaux. C’est là, dit-il, l’un des principaux avantages d’utiliser la norme ISO 14971 pour des entreprises comme Philips.
Limiter les défis
Pour Van Vroonhoven, la tendance à imposer des exigences réglementaires plus strictes constitue un défi de taille pour l’industrie. Il donne l’exemple du Règlement de l’Union européenne sur les dispositifs médicaux (UE) 2017/745, qui, selon lui, « impose des exigences plus strictes, non seulement sur le processus de gestion des risques, mais aussi, entre autres, sur les activités de notification et de surveillance après commercialisation ». Il poursuit en disant que la prochaine édition d’ISO 14971 spécifiera des exigences plus détaillées et apportera, concernant le processus de gestion des risques, des précisions qui vont dans le sens de l’évolution de ces exigences réglementaires. Ainsi, ajoute-t-il, « ISO 14971 aidera les fabricants à démontrer leur conformité aux exigences réglementaires en matière de gestion des risques ».
Van Vroonhoven souligne que la norme ISO 14971 révisée restera la référence reconnue au plan mondial pour la gestion des risques associés aux dispositifs médicaux et que « la description du processus de gestion des risques y est améliorée à plusieurs égards ». L’évaluation du risque résiduel global est notamment mieux expliquée, et il est indiqué que « le risque résiduel global présenté par le dispositif médical doit être évalué, en tenant compte des contributions de tous les risques résiduels par rapport aux bénéfices possibles attendus de l’utilisation prévue du dispositif en question ».
La gestion des risques dans l’industrie de la santé s’étend également aux laboratoires médicaux, qui sont un élément clé des soins de santé. Un travail essentiel est effectué dans ces laboratoires pour tester des échantillons cliniques afin d’obtenir des informations sur la santé d’un patient concernant le diagnostic, le traitement et la prévention de la maladie. La crédibilité des laboratoires médicaux est primordiale pour la santé et la sécurité des patients, qui comptent sur les services d’analyse fournis par ces laboratoires.
La deuxième norme, ISO 22367, actuellement en cours d’élaboration, traite de la réduction d’erreurs dans les laboratoires médicaux par gestion du risque et amélioration continue. Willem Huisman, spécialiste agréé en Europe dans le domaine des laboratoires d’analyse médicale de chimie clinique, est un expert de la norme chargé d’évaluer et d’intégrer toute révision suggérée par l’équipe de projet et de répondre aux observations reçues lors des différentes étapes du vote.
Huisman explique que la nouvelle édition d’ISO 22367 expose en détail dans ses annexes comment la gestion du risque peut être appliquée dans le laboratoire médical. « Elle permet de mieux comprendre comment la démarche de gestion des risques peut réellement contribuer à la sécurité des patients sans dépenser plus d’argent et d’efforts qu’il n’est nécessaire, et elle aide à se focaliser sur les processus où les risques sont les plus élevés et à être plus indulgent pour d’autres » fait-il observer, en prenant l’exemple de la fréquence du contrôle qualité interne des échantillons : contrôles fréquents là où c’est nécessaire et moins fréquents là où c’est possible. En définitive, relève-t-il, l’approche « peut aboutir à une réduction du coût total, avec une qualité supérieure pour les patients ».
Tout sur la technologie
Le diagnostic in vitro, secteur important de l’industrie mondiale de la santé, connaît une croissance rapide grâce aux avancées technologiques. Les dispositifs médicaux et accessoires utilisés dans ce domaine aident à détecter les infections, à poser un diagnostic médical et à prévenir les maladies. Pour Huisman, la nouvelle norme est plus explicite et plus conforme à la norme de gestion des risques applicable aux fabricants de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, soulignant ainsi la responsabilité partagée s’agissant de la fiabilité des résultats de laboratoire. Il fait également valoir que, dans l’énoncé du titre de la norme, le domaine général auquel se rapporte le document a délibérément été changé pour couvrir les laboratoires médicaux et non plus les essais de laboratoire médical ». Cela montre clairement, observe-t-il, l’importance des processus qui précèdent l’examen en laboratoire (prélèvement d’échantillons de manière appropriée, conditions de transport).
Huisman ajoute en résumé : « La nouvelle norme ISO 22367 montrera clairement aux laboratoires médicaux en quoi le concept de gestion des risques permettra de concentrer l’attention sur tous les processus de laboratoire qui le nécessitent, de fournir le service auquel leurs patients ont droit, et de considérer certains autres processus avec plus d’indulgence. Elle aide les laboratoires à être plus rentables et, ainsi, à accroître le bien-être du public. »
La troisième norme, ISO 35001, qui est en cours d’élaboration, porte sur les systèmes de management des biorisques, c’est-à-dire la gestion des risques auxquels les organisations font face lorsqu’elles manipulent des agents biologiques et des toxines. Outre les fabricants de dispositifs médicaux in vitro, les organismes concernés englobent également les centres médicaux, les hôpitaux et les cliniques, les universités et les instituts de recherche, ainsi que les laboratoires de diagnostic vétérinaire et les animaleries.
Gary Burns, consultant dans le domaine de la biosécurité et de la biosûreté, est l’Animateur du groupe de travail WG 5, Gestion du risque biologique en laboratoire, du comité technique ISO/TC 212, Laboratoires d’analyses de biologie médicale et systèmes de diagnostic in vitro. Il souligne la croissance rapide des applications de la biotechnologie, en particulier dans les pays en développement : « Les capacités techniques, qui étaient auparavant concentrées dans les pays très développés, sont de plus en plus utilisées dans d’autres pays du monde. Cette évolution est due en grande partie à la nécessité de lutter contre les maladies infectieuses d’origine naturelle, qui ne connaissent pas les frontières nationales. »
Lutter contre les toxines et autres risques
Burns fait observer que, pour faire face à ces risques, la norme proposée aidera les organisations à « améliorer continuellement leurs performances et à se conformer aux exigences légales grâce à une politique et à un processus de gestion volontaire du biorisque ; à mettre en œuvre des approches reconnues mondialement pour identifier et maîtriser les biorisques ; à surveiller et évaluer l’efficacité des mesures de maîtrise des biorisques ; et à aider la direction dans la prise de décisions concernant ces risques ».
La mise en œuvre de la norme par les organisations présente également d’autres avantages, notamment concernant la réduction des taux d’accidents et d’incidents, le respect des obligations légales et la capacité de démontrer aux partenaires externes un engagement envers une norme élevée en matière de gestion des biorisques. Autre avantage : « les organisations auront la souplesse nécessaire pour mettre en œuvre la norme d’une manière adaptée à leur taille et à leur complexité » – une bonne nouvelle pour les petites et les grandes organisations.
Comme le souligne Burns, « les risques sont également en constante évolution, car de nouveaux pathogènes émergent sans cesse ». Il cite des exemples récents d’agents biologiques émergents qui ont provoqué des épidémies chez l’homme, dont « plusieurs souches pathogènes du virus de la grippe A (H1N1, H5N1, et H7N9), un nouveau coronavirus qui est l’agent responsable du MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), et un nouveau coronavirus qui a été à l’origine de l’épidémie mondiale de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) ».
Au fur et à mesure qu’augmente le nombre d’organisations qui travaillent avec les agents biologiques et les toxines et que s’élargit la collaboration internationale entre ces organisations, la demande en faveur d’une Norme internationale de gestion des biorisques se poursuivra et ne cessera de croître.